Analyse

Je vais ici parler d’Ozu principalement par le biais de ses 13 derniers films, puisque c’est à la fois ceux que j’ai vus, et ceux qui ont le plus activement participé à sa reconnaissance internationale.

Rencontrant Ozu pour la première fois, on est d’abord décontenancé par son rythme, sa minutie dans la construction des plans et le jeu tout en émotions contenues de ses acteurs et actrices. Ces particularités, intrinsèques à son œuvre, sont aux antipodes de ce à quoi tend le cinéma mainstream actuel et apparaissent paradoxalement comme rafraîchissantes, plus de 60 après la sortie de son dernier film “Le Goût du saké”. On repère aussi assez rapidement quelques “tics” récurrents de mise en scène, comme la succession de plans de ville pour signifier le voyage de la caméra entre les scènes, où l’omniprésence des lignes et de la géométrie habille les décors. Le plus caractéristique reste à mon sens le soudain changement d’angle de caméra lors d’une conversation pour un plan de face, souvent introduit par le léger mouvement d’un personnage, qui semble d’un coup nous fixer directement. Le brio d’Ozu réside en grande partie dans cette capacité à inclure le spectateur dans les dialogues, comme s’il en faisait partie intégrante.

Au-delà de l’intérêt cinématographique, on découvre également à travers le cinéma d’Ozu de véritables archives du Japon d’après guerre, où l’on peut admirer l’architecture des maisons en bois de Tokyo ou s’étonner du savoir vivre et de la politesse extrême de la population locale.

Une fois la nouveauté passée cependant, en explorant un peu plus son travail, on se retrouve confronté à sa grande faiblesse: la répétitivité. Du fait de son style si reconnaissable et son obsession à traiter de l’évolution des mœurs ou du passage à l’âge adulte (notamment par le mariage), la filmographie d’Ozu peine à se diversifier. En fait, son œuvre se rapproche étonnamment de ce que l’on identifie aujourd’hui comme une série, voire même une “sitcom”, de part la réutilisation de certains décors entre les films, ou les thèmes et personnages récurrents, incarnés par des comédien·nes auxquel·les on finit immanquablement par s’attacher (les légendes Chishū Ryū et Setsuko Hara entre autres). On s’attendrait presque à entendre des applaudissements à l’entrée en scène d’un de ses acteurs ou actrices fétiches. Applaudissements que l’on imagine très bien se muer en “standing ovation” lors de leurs premières apparitions en couleurs à partir de 1958.

Notre manière d’apprécier le travail d’Ozu évolue donc, film après film. De l’initial curiosité cinéphile grandit ensuite la quête du réconfort duveteux que transmettent les sourires familiers de ses comédiens et comédiennes, la longueur reposante de ses beaux plans fixes et la musique douce et légère qui les accompagne. On sait ce que l’on va voir, on décèle parfois quelques surprises, et c’est très bien comme ça.