Ruben Östlund
(sortie le 13/10/22)

Déjà récompensé de la Palme d’Or en 2017 pour « The Square », Ruben Östlund est entré en 2022 dans le cercle très fermé des doubles lauréats du prestigieux prix cannois avec « Triangle of Sadness », ridiculement traduit par « Sans Filtre » dans sa version française.

Le film se divise en trois chapitres, avec pour fil rouge la relation toxique d’un couple de mannequins se retrouvant embarqué sur une croisière de luxe.
Dans un premier acte que l’on aurait aimé un peu plus long (au contraire du dernier que l’on aurait aimé un peu plus court), Carl, se sentant discriminé et manipulé par le monde de la mode et surtout par sa copine Yaya, essaie lamentablement de défendre des idées masculinistes. D’abord ridiculisées par sa conjointe, celle-ci admettra finalement une personnalité manipulatrice qu’elle assure involontaire…
Par cette anodine ambiguïté, le début du film donne subtilement le ton de ce que sera la suite: la critique évidente de ce qui n’est pas si évident à critiquer.
La richissime cliente qui pousse tout l’équipage à se baigner, ou le sourire appuyé de Yaya à un membre d’équipage avenant, en sont de bons exemples, où un comportement ambivalent peut répondre à la critique par un simple “Je ne fais rien de mal”.

La précision de l’écriture, soutenue par une mise en scène tout aussi chirurgicale, est maintenue tout le long du film, avec au cœur du viseur de Ruben Östlund l’absurdité des milieux ultra-riches, et la superficialité de leur quête d’apparence ; en opposition au couple de mannequins pour qui l’apparence est leur propre richesse, avant le renversement attendu mais néanmoins intéressant du dernier acte.
Seule exception à cette finesse scénaristique, la désormais fameuse scène « du vomi », un peu trop insistante bien que surprenamment cathartique.

Enfin, les personnages pourtant à la limite de la caricature, sont rendus plausibles grâce au jeu parfaitement maîtrisé des acteurs et actrices, créant chez le spectateur des sentiments mêlés de détestation et de compassion.

Une pensée particulière à Charlbi Dean, décédée à 32 ans peu après le triomphe du film à Cannes, qui manquera cruellement au cinéma de demain.

  • Pierre Gabioud