Cristian Mungiu
(sortie le 16/11/22)

Le cinéma roumain demeure encore aujourd’hui peu connu du grand public international, voire d’une grande partie du public roumain lui-même. De par son histoire marquée par le joug communiste de l’URSS et les régimes totalitaires, le cinéma roumain du XXe siècle est avant tout un moyen de propagande. Rares sont les films parvenant à échapper à la censure et au formatage des institutions roumaines alors en place, qui limitaient aussi considérablement la distribution du cinéma occidentale dans les salles du pays.

La chute de l’URSS amorce la libération artistique des cinéastes, encore entravée par le trop faible nombre de salles de cinéma utilisables. Il faudra attendre le début du XXIe siècle pour enfin observer les premiers balbutiements d’un cinéma roumain toujours plus prometteur, souvent aidé par des co-productions européennes, avec en chef de file Cristian Mungiu qui obtiendra la Palme d’Or à Cannes en 2007 pour « 4 mois, 3 semaines, 2 jours ».

Bien que revenant bredouille en 2022 avec son nouveau film « R.M.N. », Cristian Mungiu continue, film après film, à promouvoir un cinéma local face aux monstres hollywoodiens.

Et de quelle manière ! 

« R.M.N. » (ce qui signifie I.R.M. en français) étudie, sous la surface des paysages magnifiques et des villages aux airs bucoliques, la réalité de la vie dans la Roumanie excentrée. 

La photographie, d’un bleu (un peu trop ?) appuyé, retranscrit autant la froideur de l’hiver que l’atmosphère glaciale du village transylvanien où se déroule l’action. 

Bien que riche d’une culture forte, l’équilibre de la communauté repose sur l’entente fragile d’habitants aux origines et langues différentes: roumains, hongrois, allemands et même français cohabitent, isolés.

La rudesse du quotidien se ressent ainsi d’abord par l’image, avant d’être soutenue par l’histoire d’un homme rustre, Matthias, qui peinant à contenir sa violence perd son emploi en Allemagne, et se retrouve contraint à rentrer dans son village natal.

Il y retrouve une ex-femme qui l’accueil avec réticence, un petit garçon si terrifié par la fôret aux alentours qu’il en a perdu la voix, un père avec une maladie neurodégénérative, et une ex-copine nommée Csilla devenue adjointe de direction de l’usine locale: une boulangerie.

Perdu entre ses relations amoureuses et ses devoirs familiaux, Matthias peine à trouver sa place et se fait le point de départ de la réflexion de Cristian Mungiu. 

Véritable symbole de la société roumaine, Matthias représente aussi bien les habitants des zones en marge des grandes villes roumaines qui peinent à trouver leur place dans leur village multiculturel, que les expatriés qui peinent à trouver leur place à l’étranger et même encore plus globalement, la Roumanie qui peine à trouver sa place dans une Europe dominée par les grandes puissances.

Cristian Mungiu va même encore plus profondément (comme le titre du film le laisse entendre) dans l’analyse, et aborde la xénophobie latente dans la Roumanie rurale.

Alors que beaucoup de roumains cherchent de meilleurs emplois dans les pays occidentaux, souffrant souvent eux-mêmes de discrimination au passage, certaines professions sont délaissées en Roumanie, en raison des salaires beaucoup trop faibles. 

C’est le cas dans la boulangerie de Csilla, qui se retrouve contrainte à engager des Srilankais, qui malgré leurs tentatives pour s’insérer, vont réveiller un torrent de réactions racistes nourries d’ignorance. 

L’ironie de la situation, dramatique, sera brillamment démontrée lors d’un plan séquence fixe de plus d’un quart d’heure, où le village s’entredéchirera en débattant du sort des travailleurs étrangers. La scène est d’ailleurs magistralement interprétée par une majorité de non-acteurs, improvisant la plupart de leurs dialogues.

Le film, pourtant déjà dense en réflexions et niveaux de lectures, porte enfin un message féministe clair. En effet, les femmes se dégagent du chaos ambiant avec des personnages forts, bienveillants, à l’image de Csilla qui, au contraire d’un Matthias pétri de passivité face aux tourments du village, lutte pour s’imposer dans la communauté.

Accompagnée par la BO de « In the mood for Love » de Wong Kar-wai, Csilla représente un espoir de liberté, d’amour, de culture, de convictions, de rêves,… que la colorimétrie bleutée du film semble plus épargner que les autres.

Le film bénéficie, en plus d’un scénario de grande qualité, d’une réalisation ciselée composée par des plans sublimes. Le caractère onirique de certains est accentué par une Roumanie aux paysages magnifiques et puissants (cf. le plan surréaliste dans la forêt où Matthias et son fils sont en train de chasser sur un véritable océan de feuilles balayées par le vent) qui témoigne de l’amour du réalisateur pour son pays d’origine. 

Cristian Mungiu nous propose donc du grand cinéma, que ce soit dans l’écriture ou dans la réalisation pure, et porte fièrement les couleurs de l’industrie cinématographique d’un pays qu’il critique avec virulence.

  • Pierre Gabioud