M. Night Shyamalan
(sortie le 01/02/23)

M. Night Shyamalan est pour de nombreux cinéphiles une véritable source de frustration, tant le talent rayonnant de ses premiers projets semblait prometteur. Mais malgré les succès commerciaux de “Split” et de “The Visit”, le réalisateur américain d’origine indienne est aujourd’hui encore victime de l’aura d’ “Incassable” et surtout du fameux “Sixième sens”, sorti respectivement en 2000 et 1999. Plus de vingt années se sont écoulées, mais son nom résonne toujours de cette excitation initiale et l’inévitable déception qui succède aux sommets.

L’impossible est donc attendu de lui à chaque nouvelle sortie: réitérer l’exploit grandiose d’autrefois, retrouver l’étincelle de génie qui émanait de ses premiers travaux. Son dernier né, “Knock at the Cabin” ne fait bien sûr pas exception. Or M. Night Shyamalan semble réussir, contrairement au public, à se détacher de sa propre histoire pour échapper à la quête absolue du “chef d’œuvre”. C’est un réalisateur de plus en plus libéré qui s’exprime désormais.

“Knock at the Cabin”, donc, apparaît explorer des questionnements et peurs plus personnels du réalisateur, qui adapte ici l’œuvre de Paul G. Tremblay: “The Cabin at the End of the World”. Plus précisément, le film se centre autour des notions de sacrifice, de foi, d’oppression et de famille, au travers d’une enfant et ses parents homosexuels, à qui il est soumis un dilemme difficile à croire: sacrifier l’un d’eux pour sauver le monde.

Alors que ce rapide synopsis peut sembler assez excessif ou simpliste, il est en fait assez représentatif des questionnements intérieurs qui traversent souvent furtivement l’esprit de chacun, questionnements présents depuis des générations puisqu’ils ne sont pas sans rappeler la bible et le test de foi de Dieu envers Abraham à qui il demande de sacrifier son fils Isaac.

Plus que des interrogations, M. Night Shyamalan montre également à l’écran, aux travers des fléaux infligés à l’humanité, des peurs profondes qui pour beaucoup nous accompagnent depuis la petite enfance. Un tsunami vécu depuis la plage (scène qui deviendra probablement une référence du genre sur internet et à la TV) ou des avions qui tombent du ciel, rythment le film de scènes véritablement marquantes, propre au style du réalisateur.

Cependant, après une première moitié haletante, la base scénaristique laissant peu de place à la surprise, le film perd petit à petit en intérêt dans sa seconde partie, et ce malgré une bonne cadence avec une durée totale relativement courte (seulement 1h40).

Il faut tout de même souligner le choix de casser la continuité linéaire du récit, contrairement à la bande annonce, pour ainsi plonger le spectateur presque instantanément dans l’action.

Un autre point fort indéniable du long métrage réside dans son casting. En se plongeant dans la distribution de ses précédents projets, il apparaît que M. Night Shyamalan aime sélectionner, quand il le peut, des acteurs et actrices moins “têtes d’affiches”. Par compassion vis à vis de sa propre carrière, réel postulat artistique ou simplement manque d’opportunités, ses choix de casting s’avèrent très souvent pertinent et aussi, d’une certaine manière, rafraîchissant.

“Knock at the cabin” en est un parfait exemple. On y trouve d’abord Dave Bautista, à la carrière à la fois portée et emprisonnée par sa carrure impressionnante, et qui pourtant a une vraie versatilité de jeu (et de rôles, ce qui n’est pas le cas de tous les catcheurs reconvertis au cinéma). Son personnage dans le film personnifie exactement ce contraste, avec un homme engoncé dans sa chemise blanche, faisant de son mieux pour réprimer la peur qu’inspire sa musculature inhabituelle. Sa silhouette est par ailleurs parfaitement exploitée par M. Night Shyamalan dans les zones d’image hors focus et les arrières plans, mais c’est bien son jeu d’acteur qui retient au final notre attention. 

On trouve aussi l’extrêmement talentueux Jonathan Groff connu pour son rôle dans “Mindhunter”, ou la comédie musicale devenue mythique de Broadway “Hamilton”. Nikki Amuka-Bird et Abby Quinn, qui ne rentrent normalement pas dans les habituels standards d’actrices hollywoodienne et mais qui sont, elles aussi, extrêmement douées. Il y a Rupert Grint, dont la carrière d’acteur peine à redécoller après son rôle de Ron Weasley dans la saga “Harry Potter”, mais également de nouveaux visages avec des rôles clefs comme les excellent.es Ben Aldridge et la petite Kristen Cui.

On regrette donc, qu’avec tant d’acteurs et actrices intéressant.es, le film n’apporte pas “plus”, la faute à un scénario qui ne lui permet pas de franchir le cap entre un film bon mais finalement si banal, et un très bon film. Le script s’éloigne trop du matériel original pour rentrer dans les carcans scénaristiques hollywoodiens, n’hésitant pas à en changer la fin alors que celle-ci portait dans le livre toute l’essence du message de son auteur.

Il en découle un final fade et formaté, et l’impression d’être passé tout proche d’un film fort qui s’imprime dans son public, au profit d’un film comme les autres.

Le résultat aurait pu être encourageant pour un nouveau réalisateur faisant ses premiers pas à Hollywood, mais il est inéluctablement décevant et amer quand le réalisateur s’appelle M. Night Shyamalan.

  • Pierre Gabioud