Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk 
(sortie 22/02/23)

Il y a des jours où parler de cinéma semble dérisoire. On commence par décrypter la composition d’un plan, apprécier la couleur d’une image ou d’un son, évaluer la portée d’un script et puis finalement, il arrive que l’on s’interroge sur l’impact concret d’un film. On se heurte alors à un mur de découragement, tant ce qui se trame de l’autre côté de la toile apparaît trop loin pour véritablement influencer la société des hommes. 

“Pamfir” est un film ukrainien. Et alors que la situation de l’Ukraine, en guerre pour sa survie depuis un an, pourrait ne laisser aucune place à la culture, et forcer tout un peuple à oublier pour un temps les ombres sur la toile au profit d’une réalité mortelle, il n’en est rien.  

Au contraire, les images lumineuses n’ont jamais autant eu d’importance que dans les ténèbres. Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk ne s’y trompe pas.  

Alors que “Pamfir” s’apprête à sortir dans les salles du monde entier, son réalisateur tourne avec son équipe, au péril de leurs vies, un documentaire sur leur pays et leur peuple face à l’invasion russe. Le premier, fiction tournée avant la guerre, se fait malgré lui le témoin d’une Ukraine encore préservée de la barbarie. Le second, comme l’autre face d’une pièce, montrera une Ukraine où rien ne sera jamais plus pareil. 

Le travail de Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk place donc le cinéma comme l’une des archives de l’humanité. Dans “Pamfir”, on trouve des visages marqués par la vie, vierges des cicatrices que creuseront inévitablement les batailles à venir.

Il y est dépeint la rudesse de l’Ukraine rurale, et plus particulièrement d’un père de famille: Pamfir. A mis chemin entre l’homme et la bête, il est l’archétype de l’homme fort ukrainien, luttant pour le bien de sa famille. Bien et mal tendent néanmoins à se confondre dans la pauvreté d’un village isolé, où à Dieu s’oppose la réalité de la boue, de l’argent et du froid.

Dans cet environnement presque animal, le folklore s’adapte mieux que la religion, à l’image de la fête de “Malanka”, où les habitants se déguisent et dansent en portant des masques féroces et de larges costumes de pailles.

Équivalent ukrainien du “R.M.N.” roumain de Cristian Mungiu, on y retrouve le même type d’environnement hostile, retranscrit par une image crue, presque terreuse avec une bande sonore rugueuse. “Pafmir” est ainsi une véritable expérience sensorielle, où l’atmosphère du film déborde au travers l’écran. 

Il y a donc des jours où parler de cinéma est capital. En soutenant l’industrie cinématographique de l’Ukraine, on lui donne la possibilité de conserver les souvenirs de son peuple, de transmettre sa culture au monde et d’éclairer par son histoire les générations à venir.

Note:
Les projets précédents de Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk sont accessibles sur l’équivalent spécialement ukrainien de Netflix: “Takflix”, avec d’autres films ukrainiens d’avant et de pendant la guerre. De nombreux courts et long-métrages sont accessibles gratuitement, même si un abonnement donnant accès à tout le catalogue est disponible, dont la moitié des bénéfices va directement aux équipes des films, et 10% à la défense de l’Ukraine.

  • Pierre Gabioud