Aki Kaurismäki
(sortie 20/09/23)

Vu à Locarno 2023 (3/10)

Les amoureux du cinéma scandinave ont eu la chance de voir à Locarno le nouveau long-métrage de Aki Kaurismäki, et les amoureux tout court celle de pouvoir se consoler après la projection. En effet, dans son essence le message de “Les Feuilles Mortes” pourrait se résumer à:
“Le monde est absurde, la vie n’a aucun sens, seul l’amour peut rendre le quotidien un peu plus supportable… et encore”.

Et il serait aisé pour le spectateur distrait de réduire le film finlandais à ce simple constat.
Les personnages sont semblables à des robots agissant mécaniquement dans une société qui s’effondre de toute part, et dont l’ironie ne fait même plus sourire. La majorité sont accros à la cigarette et à l’alcool, seules illusions d’échappatoires possibles et devenant finalement elles-même partie intégrante de la routine robotique et inéluctable de la masse.

Le jeu laconique des acteurs et actrices, fidèle au style d’Aki Kaurismäki, renforce cette impression d’abandon face à l’état des choses. Chaque conversation, chaque mouvement, chaque émotion semblent demander un effort immense, comme si les personnages se mouvaient sous l’eau, la pression de l’océan tout entier sur leurs épaules.
Des anachronismes, dispersés dans les décors, empêchent d’établir une temporalité claire au récit, mais laisse tout de même poindre les traces d’une époque faste, désormais révolue, qui au désespoir ajoute la nostalgie d’un temps meilleurs.

Une péripétie vient cependant troubler la fatalité du récit: la rencontre fortuite, aux allures de contes de fées, d’un homme et d’une femme entre lesquels va naître une liaison maladroite. De la sincérité de leur sentiment émane une petite lumière qui fera pour eux office de phare dans la morosité, et qui fera pour le spectateur apparaître les bribes de poésie jusqu’à lors dissimulée dans les coins sombres du long-métrage. On y découvre avec plus d’aisance ses inspirations surréalistes, se laissant petit à petit prendre au jeu de cet humour froid, jouant du sérieux inébranlable des protagonistes face à l’absurdité d’une situation et de la beauté tragique qui accompagne leur errance. 

En fait, au travers de cette univers dysfonctionnel, Aki Kaurismäki nous fait reprendre conscience de notre propre liberté et nous invite à nous échapper de la machine infernale dans laquelle nous sommes, même si ce n’est juste que pour sortir la tête un instant d’entre les rouages pour en apprécier la singularité.
Prix du jury au Festival de Cannes, “Les Feuilles Mortes” est donc une œuvre aussi sensible que complexe qui ne parlera pas à tout le monde. Mais de part sa durée relativement courte (1h20), il serait dommage de ne pas tenter l’expérience…

  • Pierre Gabioud
Catégories : Critique de film