Patricio Guzmán
(sortie le 23/11/22)
Octobre 2019, le Chili s’apprête à vivre sa plus grande révolution depuis celle qui avait abouti, en 1970, à l’élection du socialiste Salvador Allende. Alors que les espoirs de tout un peuple s’étaient finalement effondrés en 1973, après le coup d’état du Général Pinochet (aidé des États-Unis) et la longue dictature qui en avait suivi, un souffle de liberté balaie à nouveau les rues de Santiago.
Répondant à l’appel d’une nation qu’il n’a jamais vraiment pu quitter, Patricio Guzmán se rend sur place pour y filmer un documentaire. Il faut dire que le réalisateur est intimement lié à l’histoire du Chili, dont il a filmé les premières étincelles de révolte dans les années 60 jusqu’aux télescopes surpuissants du XXIe siècle dans le désert d’Atacama, en passant par les combats menés par l’Église catholique pour les droits de l’Homme à la fin des années 80.
En fait, la grande majorité de sa filmographie est dédiée à l’histoire de son pays d’origine, faisant donc de lui la référence mondiale du documentaire en la matière. Ce statut et cette connaissance si profonde du pays assurent-ils pour autant la qualité du long-métrage ?
Celui-ci se compose d’une succession d’interviews, entrecoupées d’images de la révolution tournées par le cinéaste, et propose un documentaire très simple dans son format et sa réalisation. Alors que l’on connaît la proximité de Patricio Guzmán avec le sujet, on s’étonne presque de l’impersonnalité du film qui ressemble au final plus au reportage d’un média mainstream, où la passion révolutionnaire ne repose que sur le fond des images et des personnes interviewées.
La confusion est d’autant plus grande que le film montre très vite les manifestations et leurs dérives inévitables, sans que le spectateur lambda ait toutes les cartes en main pour les comprendre. Il aura donc pour premier réflexe de se demander si la violence qu’il observe n’est pas démesurée, si elle est vraiment justifiée… Vraie décision du réalisateur ou oubli que le public, en dehors du Chili, n’est évidemment pas aussi investi dans ce combat que lui ?
On comprend heureusement au fil du film, grâce aux témoignages poignants de citoyennes chiliennes, les enjeux de la révolte et l’on recolle petit à petit les morceaux d’une situation complexe. Plus de pouvoir au peuple, une vie plus digne, une meilleure éducation, un meilleur système de santé, la fin des violences policières… Les revendications du peuple sont nombreuses et relèvent pourtant de l’évidence du droit humain.
Surtout, de part l’importante mobilisation des femmes dans la révolte, celle-ci prend une dimension féministe. Le chant « Le violeur, c’est toi ! », accompagné par sa chorégraphie, a été repris au-delà des frontières chiliennes, donnant une résonance internationale et moderne au conflit. Et c’est là que réside la plus grande force du film: en ne faisant intervenir que des femmes révolutionnaires dans ses interviews, chaque idée défendue prend des couleurs féministes et inspire nos propres combats sociétaux.
On trouve également, au cœur de la révolte, des symboles que Patricio Guzmán sait repérer et mettre en valeur, à l’image de manifestants la main sur l’œil pour représenter la blessure la plus répandue chez les victimes de violences policières. Il y a aussi les manifestantes, qui malgré les tenues guerrières, affirment leur féminité et la place centrale de la femme dans le renouveau du Chili en arborant des fleurs ou du rose sur des équipements quasi-militaires.
On regrettera néanmoins l’absence d’interview de politiciennes ou de policières, pour ouvrir un peu les horizons de la réflexion. Car, même s’il ne fait aucun doute que la révolution est parfaitement légitime, le documentaire prend des airs un peu trop partisans et manichéens qui desservent son message.
En conclusion, Patricio Guzmán relate, aux travers de femmes impressionnantes de courage, la lutte d’un peuple qui devrait inspirer les foules du monde entier, mais le film peine à suffisamment donner les clefs aux non initiés pour en comprendre les subtilités.
- Pierre Gabioud